Ce texte est extrait de
"Histoire de l'expression orale dans le
culte : prédication et lecture"
d'Alain Combes
Le 20e siècle
·
Sobriété,
sincérité
Dans le monde catholique, au début du XXe siècle on exprime clairement la nécessité d’une certaine sobriété dans la prédication pour éviter :
« ces effets de voix, soit par des inflexions larmoyantes, soit par des
invectives tragiques... »
[1]
« Ce qu’il faut éviter à tout prix, c’est le conventionnel. On
donnera le moins possible à la parole cet air " appris " ou
" récité " qui diminue si cruellement parfois la "
réalité " du discours...
Évitons pourtant, sous couleur de " réalité " d’imiter
de maladroite façon le naturel ; c’est alors le triomphe du factice...
On évitera d’enfler ou forcer la voix pour aboutir, grâce à du
conventionnel ou à du factice, à ce beau résultat : le ton
prédicateur. Chanter, crier, et, par-dessus le marché, d’une voix
prétendument pathétique ou encore, solennelle : se peut-il imaginer
quelque chose de plus faux et de plus ennuyeux ? »
[2]
Le Père Sertillanges, auteur d'un traité de
prédication de la première moitié du siècle dit : "Rien
n'est plus rare, convenons-en, que ce naturel chrétien. Si nous voulons
nous observer, tous ou presque tous, nous devons reconnaître qu'en chaire
nous ne sommes pas nous-même. Nous sommes sincères, mais d'une
sincérité lointaine, qui ne rejoint pas notre parole, qui ne la pénètre
pas. Nous jouons un rôle...nous chantons l'air appris, mais nous ne
parlons pas." Il déconseille de se former avec un homme de théâtre
parce que "le but poursuivi n'est
pas le même". Le P. Sertillanges plaide pour la simplicité, pour le
naturel, mais "il y a un naturel
dont nous devons nous défier, c'est le naturel banal, terre à terre, qui
sent son boutiquier ou son phraseur de réunion publique..."
[3]
Autre remarque plus proche de nous :
«ce qui manque le
plus souvent à nos prédications, c'est le sens d'un public à
atteindre. Il s'agit, en effet, de parler à
quelqu'un..»
[4]
Et si l'on parle à quelqu'un il est important de tenir
compte de lui, sans oublier d'adapter la parole à son contenu, par opposition
à une diction artificielle empruntée "à
je ne sais quel chant intérieur, à des habitudes, ou à d'absurdes
préjugés."
[5]
On trouve également, dès le début de ce siècle, dans l'Eglise Réformée le même souci d'éviter le ton " affecté " :
« Il devrait y avoir à la Faculté une émulation, une coalition
amicale entre maîtres et élèves [ les futurs pasteurs ] pour que tous ceux-ci arrivent à la correction, au naturel, à la
modestie (...). A Paris même, les meilleurs prédicateurs ou lecteurs, dont
on est d'ailleurs charmé d'entendre le beau langage, sont souvent emphatiques
et recherchés; ils appuient trop sur certaines voyelles qu'ils exagèrent, et
sont loin d'être naturels et satisfaisants. Le meilleur lecteur ou le
meilleur prédicateur est celui qui articule le mieux, qui parle avec le plus
de netteté et de naturel... »
[6]
De nos jours, la recherche d’une
relation convaincante mais sobre est généralisée dans l'Eglise. Du côté
catholique on conçoit l’homélie comme «
le lieu de la plus grande coloration personnelle du ton de la voix pour rendre
le propos expressif, convaincant, facile à suivre et édifiant pour la foi.
» (...)
En rejetant " les effets de l’art oratoire ancien "
on désire " mettre au service de l’homélie la simplicité et l’authenticité
du ton de la voix. " »
[7]
Cela dit, les choses ne sont pas si faciles, et les conseils de D. Bonhoeffer sur la façon de lire, par exemple, s'ils sont convaincants dans le principe, ne donnent pas la clé de la mise en pratique :
«Une règle à observer pour bien
lire un texte biblique, c'est de ne jamais s'identifier avec le "je"
qui s'y exprime... Certes, il n'en résultera pas que je lirai le texte en
prenant un ton monotone et indifférent; au contraire, je le ferai en me
sentant moi-même intérieurement engagé et interpellé. Mais toute la
différence entre une bonne et une mauvaise lecture apparaîtra lorsqu'au lieu
de vouloir prendre la place de Dieu, j'accepterai tout simplement de le
servir. Sinon, je cours le danger de devenir déclamatoire, pathétique,
émouvant, provocant (...) La lecture correcte de l'Ecriture n'est pas une
technique qui pourrait s'apprendre, elle dépend de ma propre disposition
intérieure.»
[8]
Chacun sait qu'on peut avoir une "disposition intérieure"
correcte sans pour cela réussir à faire une "bonne lecture". Et le
problème n'est-il qu'entre "vouloir prendre la place de Dieu" et
"le servir" ? Résout-on
toutes les difficultés de la lecture en public en ayant une bonne disposition
intérieure ?
·
La forme et le
prédicateur...
Cette volonté de sincérité, de désir d’adéquation entre le vécu du prédicateur et ce qu’il dit, a été très souvent exprimée au cours des siècles. Mais dans un monde moderne où la parole par le jeu des médias est envahissante et sans retenue, cette préoccupation devient fondamentale :
« La prédication n’est pas une affaire de mots, de phrases même justes et bibliques. Elle est liée au prédicateur, à sa personnalité, à son rayonnement, à l’unité entre ce qu’il dit et ce qu’il est. Pas besoin d’être un tribun ou un A. Monod. Mais il est essentiel que ce que je suis corresponde à ce que je dis. » [9] .
Ce qui implique que la façon de dire permettra ou non de percevoir cette unité entre ce que le prédicateur dit et ce qu’il est. En effet, un discours hésitant et mou par exemple, ne témoignera pas de l’énergie et des convictions du prédicateur, même si les bons mots sont au rendez vous, et même si le prédicateur est effectivement convaincu. On peut en dire autant d’un comportement glacial et d’un phrasé lourd qui ne porteront pas la chaleur d’un message, même si celle-ci est explicite dans le texte du sermon et même si le prédicateur est en accord avec ce qu’il a écrit.
On devra donc veiller à ce que la sincérité puisse, pour s'exprimer, trouver les outils adéquats d'expression orale. Mais comme on le voit il s'agit aussi d'expression non-verbale, c'est à dire des regards, des gestes, de l'attitude physique du prédicateur. L'étude de cet aspect de la communication n'est pas nouveau comme nous l'avons vu en étudiant les siècles précédents. Néanmoins, contrairement à cette tendance à vouloir inventer une "grammaire" du geste ou des mimiques qui s'est perpétuée jusqu'au milieu du XXe siècle, on trouve aujourd'hui une réflexion plus analytique que synthétique.
«la
communication doit être bonne, réussie, voire même efficace.
Sinon pourquoi communiquer ? Pourquoi
se donner la peine de prêcher, si l'on ne tient pas à être entendu,
compris, si l'on ne tient pas tour à tour à stimuler, questionner, enrichir,
persuader l'auditeur ? (...) Tout d'abord : «On ne peut pas ne pas
communiquer». S'il est éventuellement possible de se taire - encore que les
silences puissent avoir une fonction parlante -, il est impossible d'éliminer
tout comportement corporel, impossible de ne, pas émettre de signaux
non-verbaux, impossible, aussi longtemps que dure l'interaction, qu'il n'y ait
pas de relation, ou pas de situation. Bon
gré, mal gré, le prédicateur est contraint à l'utilisation des divers
codes symboliques impliqué par ses mains, son regard, son corps tout entier,
sa simple présence physique et celle de ses interlocuteurs.
Il est sous la contrainte non seulement de leur existence, mais de leur
simultanéité. Les divers codes
que nous avons évoqués sont tous et à tout instant présents, dans une
combinatoire mobile, dans des redondances spontanées ou travaillées, avec
des effets plus ou moins maîtrisés ou subis.
Il est de la responsabilité des prédicateurs de prendre en compte
l'incontournable présence des multiples canaux de communication et leur
exigeante simultanéité.»
[10]
On remarquera que pour le prédicateur, la "prise en compte" du non-verbal n'implique plus de plaquer des gestes ou des mimiques répertoriées mais peut-être de veiller à la cohérence de "ces codes" avec le discours. Ainsi, il semble que l'on souhaite une expression libre et naturelle qui malgré tout corrige les éventuels décalages nés du stress, des défenses, en bref du malaise occasionné par la relation avec un auditoire. On pose le "naturel" comme critère, on rejette le "fabriqué" comme suspect. C'est l'exemple de la relation inter-personnelle ou de petit groupe qui sert souvent de modèle au "naturel" peut-être à cause du cinéma ou de l'exaltation de la relation individuelle (qui prime parfois sur la vie de groupe). Le "naturel" porte-t-il toujours mieux la sincérité ? Dans l'Eglise, la crainte, parfois phobique, de théâtraliser la prédication ou la lecture n'a t-elle aussi des risques ?
Un document récent de l’Eglise Réformée de France s’adressant aux prédicateurs laïcs dit qu’il est possible que la forme soit différente suivant la taille de l’assemblée, que devant
« beaucoup de monde, il [ le prédicateur ] prêchera peut-être avec plus
d’emphase, sur un mode plus magistral, sans récuser une légère
théâtralité. Devant peu de monde il prêchera peut-être avec plus de
naturel, sur un mode plus confidentiel, sans craindre une légère intimité.
»
[11]
Apprendre ces nuances est encore une autre affaire qui demande expérimentation et pratique, et le même document insiste sur l’apprentissage des
« techniques du discours » en précisant que « le grave défaut des pasteurs est de croire que leur parole se suffit
à elle-même. »
[12]
Certaines circonstances réclament une utilisation particulière des ressources du prédicateur, ainsi en est-il de la télévision [13] . Le problème posé par le " gros plan " et, parallèlement par l'effacement du contexte nécessite un comportement conforme à la nouvelle relation créée avec l'assistance :
« L'auditeur est rejoint dans son intimité, réellement et
symboliquement : il reçoit en quelque sorte le prédicateur dans son
intérieur, au double sens du terme. C'est alors une relation très
personnelle qui peut s'établir où, tout autant que le contenu du discours,
va compter le visage, l'expression, l'attitude générale du prédicateur :
sa capacité à communiquer, à susciter et à retenir l'attention, à
créer une relation. »
[14]
Vers une meilleure formation ?
A tort ou à raison, la façon de communiquer est encore aujourd'hui en procès :
à la suite d'une petite enquête sur le sermon et la difficulté pour certain d'y accrocher, le groupe Pascal Thomas écrit :
« Parmi les raisons du décrochage qui tiennent au prédicateur, nous sommes frappés par l'importance que beaucoup donnent au ton de l'homélie. Un ton jugé monotone, monocorde, ennuyeux, " sans rien pour réveiller ". Ou bien encore un ton "scolaire", " didactique ". » [15] On voit bien ici que ce qui est en cause ce n'est pas tant le contenu que la forme.
Mais, par ailleurs, une enquête révèle que seulement 14 % des pasteurs estiment qu’il est nécessaire d’avoir des " compétences oratoires " dans l'exercice pastoral. [16] Est-ce par refus d'un art qu'on soupçonne constitué d'artifices et " d'effets de manches " ou par méconnaissance de l'expression orale ?
Deux voix, l'une protestante, l'autre catholique témoignent de cette nécessité de développer un travail d'expression orale :
« Il est peut-être temps d'insister sur l'urgence de développer ses
capacités oratoires. Dès qu'on prend le chemin de la chaire, il faut
consacrer ses efforts à augmenter son habileté en matière d'expression
orale. »
[17]
«Nous avons le
droit, et le devoir, de mettre toutes les ressources humaines possibles au
service de notre prédication... Puisque le Seigneur veut passer par nous et
par nos moyens humains, nous avons le droit (devoir) de ne rien sacrifier.»
[18]
Pour
conclure ?
Monotonie et exubérance, deux défauts extrêmes qui ont toujours été présents dans l’histoire de la prédication et de la lecture en public.
De nos jours, particulièrement dans le domaine de la lecture des textes bibliques, la monotonie est coutumière. Dans un monde exubérant, la parole dans l’église se veut pudique, sobre. Mais parfois la sobriété est confondue avec la pauvreté, la simplicité avec la simplification. Du coup, la monotonie vient caricaturer la crainte de s’imposer, elle sert de refuge à la timidité, à la gêne. Elle se donne parfois une théologie pour se justifier, elle se prétend respectueuse de l’autre.
La prédication, elle, connaît plus de variantes. Dans certains milieux, elle prend les mêmes formes que le discours politique de meeting : décontraction, vigueur du phrasé, variations nombreuses et énergiques... D'autres fois, la prédication est pratiquée avec une gravité, une solennité qui dénote une raideur conservatrice. Certains justifient cette forme en invoquant la tradition, bien que celle-ci ait connu de très multiples variations, comme nous l’avons vu. Il semble que la réalité soit plus prosaïque : autant de sensibilités, de craintes, de réactions, de facilités ou de difficultés personnelles, autant de façon de prêcher et, parfois aussi : autant de théories sur la prédication.
Mais, entre « faire des effets » ou « ennuyer » la place est large pour une façon de parler audible et intelligible, pour une communication chaleureuse, variée, sans affectation ni artifices. Encore faut-il que chacun fasse l'effort d'une réflexion, d'une écoute de soi et d'une remise en cause de sa pratique.
Osera-t-on un jour une véritable formation, dans une approche respectueuse de la sincérité du prédicateur, de la richesse du message et de la liberté de celui qui l'écoute ?